L'Autre Monde



00: RÉMANENCE

Le Monde est la totalité des faits (Wittgenstein)

Le Monde ou la Réalité est un processus de création ou d'engendrement d'archive (auto-archivage) ET de rétroaction silencieuse et fantomale de celles-ci dans ce processus de création et d'engendrement. Ainsi que tout aussi bien le langage nous parle et nous pré-existe non pas avant que nous ne sachions en faire l'usage mais exactement DANS LE MÊME TEMPS que nous l'employons. Synthèse a-causale et disjonctive qui signale et explicite une AUTRE relation entre l'espace de l'au-delà et l'espace de l'ici-bas. L'au-delà, l'Autre Monde, n'est pas un simple espace de stockage de ce qui a "eu lieu" dans un temps passé, mais bien la trame rétroactive et agissante qui tisse dynamiquement et "à l'envers" ce que non seulement nous entendons comme "le monde" comme ce que nous y "faisons" et "projectons". Et si la "mort" et ses résonances et rétroprojections dans l'espace mental n'étaient en fait pas du tout une affaire de finitude ou de passé mais une affaire de faisceau qui rémane d'un futur, qui est niché dans les cachettes du présent en tant que processus de survivance et d'apparition.


01: NATURE AIME À SE CRYPTER

Nature aime à se Crypter (Heraclite)

Et se "dévoile" de soi (Cosmos). Pour se revoiler dans le même mouvement de désoccultation/réoccultation. La réalité ou ce qui se dénomme communément comme tel est une sorte d'espace qui s'effectue à la mesure qu'il produit des discours d'auto-explication et des effets de matière sur soi-même. Ces discours sont une production d'archives. Ces archives sont bien autre chose que des traces. Elles sont l'enjeu de l'au-delà de même que la résonance et le rétroagissement de l'au-delà sur et DANS (le) ici-bas. On pourrait d'ailleurs parier que ce que nous envisageons comme étant la réalité ne soit en définitive qu'une déchirure psycho-topique et cryptée dans l'espace non-euclidien, non-aristotélicien et transhistorique de l'archive, ou de l'autre monde, de l'au-delà, de la mort qui n'est pas "le passé" mais une hantise et l'état d'infra-réalité, de pré, de post-réalité muette de l'ensemble du cosmos qui nous rétroagit à la mesure que nous le produisons.

Ainsi cette hypothèse: (…) On peut faire l'hypothèse que ce que nous nommons la réalité soit un processus inadéquat à s'envisager soi-même comme prise avec ce dont il prétend parler ou ce qu'il prétend expliciter. A s'envisager soi même comme processus de génération de l'au-delà dans l'ici-bas. En d'autres termes: et si la réalité entendue comme effectuation de la matière dans la matière et comme discours et mécanismes d'auto-compréhension, d'auto-explicitation et d'auto-critique de cette même matière se dédoublant négativement sur soi n'était "en définitive" qu'un processus permanent de désajustement entre SOI et SOI / par effet de perception euclidienne et de matrices aristotéliciennes qui président au langage. (S. Anatoli)

La nature de l'au-delà (archive/fantôme) est occulte et est un processus d'auto-occultation. On sait d'elle qu'elle n'est ni une histoire, ni un discours, ni un discours-sur-soi. Elle n'a pas de consistance à "proprement parler". Elle ne procède pas d'agencements cognitivo-rhétoriques et elle est totalement insaisissable par les prismes appropriatifs et projectifs (pro-jet) qui balisent la réalité et l'ensemble des machines discursives auto-analytiques, d'autoproduction et d'autoprojection qui fabriquent la trame de la réalité et de sa "vérité" dans une maïeutique synthétique et disjonctive.


02: EXPLICITATION

Qu'est ce qu'une crypte? Une crypte ne se présente pas. Une certaine disposition des lieux est aménagée pour dissimuler: quelque chose, toujours un corps de quelque façon. Mais pour dissimuler aussi la dissimulation: la crypte qui d'elle même se cèle tout autant qu'elle recèle. Taillés dans la nature, en exploitant parfois les chances ou les données, ces lieux ne sont pas naturels. Une crypte n'est jamais, de part en part, naturelle et si la physis aime, comme on sait, à (se) crypter, c'est qu'elle se déborde pour enfermer, naturellement, son autre, tous ses autres. La crypte n'est donc pas un lieu naturel, mais l'histoire marquante d'un artifice, d'une architecture, un artefact: d'un lieu compris dans un autre mais rigoureusement séparé de lui, isolé de l'espace général par cloisons, clôture, enclave. Pour lui soustraire la chose. Construisant un système de parois, avec leur faces internes et externes, l'enclave cryptique produit un clivage de l'espace général, dans le système rassemblé de ses lieux, dans l'architectonique de sa place ouverte en son dedans. (Derrida, «Fors», préface à «le verbier de l'homme au loup»- Abraham & Torok)


03: TROIS MAGES

a: Le mage suédois Emmanuel Swedenborg (1688-1772), qui était aussi un philosophe donnait des conférences dans les cours d'Europe au sujet de son travail sur une cartographie spectrale de l'Europe.

b: Le mage viennois Sigmund Freud (1856-1939), proposait quand à lui une désoccultation par correspondance et analogies mais également un nouveau régime de maladie occulte. Comme régime psychomoteur pour l'esprit.

c: Le grand mage et inventeur Alexander Graham Bell (1847-1922), à qui nous devons non seulement le téléphone mais aussi les technologies qui sont aujourd'hui les fibres optiques, n'a jamais caché que tout son projet était d'inventer un appareil capable de communiquer avec les morts ou à défaut avec l'au-delà.

Le travail artistique explore les latences des dispositifs de langage, de rhétorique et de technologie donnés à une époque donnée dans et par les termes de ces dispositifs – et tels que ces dispositifs sont eux mêmes cryptés d'impensés ou de pensée sédimentée et accumulée – et il en explicite l'invisible, les béances, les fractures – pour ce faire il s'assimile à un travail obsessionnel de cartographie.

Cartographier l'invisible, expliciter le non-conscient et faire exister le non-existant, court-circuiter la matière par l'électricité et la perception euclidienne des modes de présences par sa transfiguration alchimique en vocalisation spectrale "à distance" et par là invention d'une autre forme de syntonie ou de synthèse disjonctive entre présence et absence dans le régime cognitif qui est tout ensemble: relation de soi à soi, de soi à l'espace, de l'espace au temps, du dehors et du dedans, de l'espace mental et de l'espace extérieur (et retour). (Dominique de Lavergnée)


Bureau de Veille / Benjamin Brejon 2008

in, Projecto InFormal. Cat. Laboratório das Artes, Guimarães 2008, pp. 44-45.